Alors, comment l’affaire Ouandié a-t-elle influencé le départ d’Amadou Ahidjo du pouvoir ?
Ernest Ouandié.
Ernest Ouandié est né en 1924 à Badoumla, un village du Cameroun. Il était un homme politique influent, figure majeure de la lutte pour l’indépendance du Cameroun au sein de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Le nom Ouandié signifie « qui est dans la maison ? » ou « qui est en sécurité ». Il était le cinquième de sept enfants issus de la même mère : Ngako, Yemdo, Mboutchak, Djieumo, Ouandié, Djoma et Kamdem.
En 1927, à l’âge de 3 ans, son père fut contraint de travailler dans les plantations de café des colons français près de Bafang, à Djimbong, une localité située dans l’actuel arrondissement de Kekem, dans la région de l’Ouest du Cameroun, en pays bamiléké. Malade, il retourna chez lui en 1929 et rejoignit ses épouses et enfants à Bangou.
De 1933 à 1936, Ernest Ouandié fit ses études à l’école publique de Bafoussam. En 1937, il réussit l’examen permettant de poursuivre le cycle primaire, puis fréquenta l’école régionale de Dschang de 1937 à 1939. En 1940, il obtint son certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) et réussit le concours d’entrée à l’école primaire supérieure de Yaoundé, où il obtint le diplôme de moniteur indigène.
Ernest Ouandié se maria d’abord avec Njila, une fille de Diffo Petko, avec qui il eut un enfant qui mourut en bas âge avant leur divorce. En secondes noces, il se maria le 5 décembre 1948 à Douala avec Marthe Eding Ouandié, une femme bakoko rencontrée l’année précédente à Édéa. De cette union naquirent cinq enfants : Philippe, Mireille, Irène, Monique et Ruben Um Nyobé.
Dongmo et Ouandié : Le piège qui a mal tourné.
Monseigneur Albert Dongmo et Ernest Ouandié, alliés dans leur opposition au gouvernement d’Ahidjo, décidèrent d’assassiner le président. Dongmo, selon le plan, promit à Ahidjo de lui apporter Ouandié en personne. Il invita Ahidjo à venir assister au sacre de ses prêtres à Nkolbisson.
Dongmo partit ensuite récupérer Ouandié et le cacha dans un caféier à Mbanga. Il retourna à Yaoundé pour le sacre, sachant que les prêtres étaient armés et prêts à attaquer Ahidjo. Dès son arrivée à Yaoundé, René Mpondi, frère d’Ahidjo, fut mis au courant de la situation. Il conseilla à Ahidjo de ne pas se rendre au sacre. Si le président s’y rendait, il fallait qu’il soit accompagné de ses hommes de confiance.
Au moment du sacre, une fouille des prêtres révéla qu’ils étaient armés et prêts à tirer sur le président. Tous furent arrêtés.
Pendant ce temps, à Mbanga, Ouandié, en manque de nourriture, se rendit dans les champs de manioc. Là, il rencontra une jeune femme qui, après l’avoir interrogé, alla chercher de la nourriture pour lui. Elle prévint son mari, qui, après avoir reconnu Ouandié, l’emmena au village et le remit aux autorités. De son côté, Dongmo fut arrêté avec ses complices, et un procès fut ouvert.
Le 19 août 1970, Ernest Ouandié fut capturé à Mbanga et conduit à la Brigade Mixte Mobile (BMM) à Kondengui, près de Yaoundé, tristement célèbre pour ses salles de torture. Là, il partagea sa cellule avec Albert Mukong, un ancien secrétaire général du One Kamerun.
Le procès d’Ernest Ouandié.
Le 26 décembre 1970, Ernest Ouandié et Monseigneur Albert Ndongmo, ainsi que 26 autres co-prévenus, comparurent devant le tribunal militaire de Yaoundé. Ils furent accusés de tentative de renversement du gouvernement par la violence et d’organisation de rébellion, ayant causé de nombreux morts et destructions.
La juridiction militaire était présidée par le capitaine Paul Njock, assisté des lieutenant-colonels Bouba Kaélé et Nguindjoll, tandis que le capitaine Emile Manga occupait le rôle de commissaire du gouvernement. Ouandié, privé de ses avocats internationaux, dont François Mitterrand et refusant d’être défendu par un avocat commis d’office, dénonça ce procès comme une mascarade. Il refusa de se défendre, affirmant que le gouvernement cherchait à l’exécuter.
Le 5 janvier 1971, Ernest Ouandié fut condamné à mort, et il fut fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam, aux côtés de son compagnon d’armes, Raphaël Fosting.
L’implication de la France et du Vatican.
L’affaire Ouandié eut des répercussions internationales. Le président français François Mitterrand, lors de sa prise de fonction en 1981, évoqua la question de la démission d’Ahidjo. Il est souvent dit que c’est l’humiliation subie par Mitterrand durant le procès Ouandié qui poussa Ahidjo à se retirer du pouvoir.
En effet, Ahidjo, dans le cadre du procès de Ouandié en interdisant l’atterrissage au vol de Mitterrand, avocat international, le contraignant à atterrir au Gabon. Mitterrand a donc considéré le fait qu’Ahidjo l’a humilié à l’échelle internationale par ce procès en refusant qu’il vienne défendre son client en la personne d’Ernest Ouandié. Le Vatican, quant à lui, n’exerça pas de pression directe pour Ouandié, mais il intervenait en faveur de l’évêque Ndongmo.
En revanche, la France, sous l’influence de Focart, exerça une pression sur Ahidjo pour qu’il élimine Ouandié. Focart, pour s’assurer de l’exécution de Ouandié, se rendit à Libreville, au Gabon, où il supervisa les événements.
La chute d’Ahidjo et l’ascension de Paul Biya.
En 1980, Mitterrand, désormais président de la République française, convoqua Ahidjo à Paris et lui annonça qu’il devait quitter le pouvoir. Cette intervention marqua le début de la fin pour Ahidjo. La presse internationale, dirigée par Hervé Bourge, commença à dénoncer son régime et à exiger son départ. Le 6 avril 1982, Ahidjo démissionna, laissant place à son successeur Paul Biya.
Ainsi, c’est souvent par l’intermédiaire de l’affaire Ouandié que l’on explique la chute d’Ahidjo et la montée en puissance de Paul Biya. Cette affaire, marquée par la pression internationale et les manœuvres internes, fut déterminante dans le paysage politique du Cameroun.