Pour obtenir un aperçu, il convient de se référer aux données publiées par l’Institut National de la Statistique (INS) le 25 juillet 2023, révélant un taux d’inflation de 7,8 % en mai. En septembre 2023, les prix des produits alimentaires et les coûts d’éducation ont respectivement augmenté de 1,3 % et 1,1 %. Quelques mois plus tard, en décembre 2023, le pays a été confronté à une pénurie de carburant touchant trois principales villes : Bafoussam, Douala et Yaoundé. Cette situation vient s’ajouter aux multiples problèmes auxquels sont confrontés les Camerounais exerçant dans le secteur informel.
Une simple visite sur les marchés et lieux de vente permet de mesurer l’ampleur de la situation, soulevant des interrogations telles que : Le manioc cultivé ici provient-il de l’Ukraine ? Les vêtements que nous portons viennent-ils de l’Ukraine ? Les feuilles de manioc et d’okok qui poussent sur nos terres sont-elles importées de l’Ukraine ? La hausse des prix des produits de première nécessité se traduit-elle par une augmentation de nos revenus et salaires ?
Les difficultés reflètent l’impact de l’inflation.
Comme tout secteur, l’informel connaît sa part de difficultés, intensifiées par l’inflation qui sévit actuellement sur l’ensemble du territoire camerounais.
Augustine Tounou, gérante d’un beignetariat (Un espace de vente de beignets, haricots, bouillie, poisson frit, plantain frit, riz sauté, spaghettis sautés et viande), est mère de quatre enfants, dont deux filles et deux garçons, et réside avec son mari dans le quartier de Messassi à Yaoundé 1er.
“Il faut de l’huile, de la farine, des bananes pour les beignets, sans compter tout ce qu’il faut acheter pour préparer les repas. C’est devenu difficile avec la hausse des prix sur le marché. Combien de beignets peut-on frire avec un litre d’huile le matin ? Une fois que vous avez réussi à jongler avec cela, les clients arrivent et demandent des cadeaux, en insistant sur le fait que les beignets sont petits et qu’ils ne ramassent pas l’argent au sol”, explique-t-elle.
Cette période d’inflation, caractérisée par la hausse rapide des prix des produits de première nécessité, n’affecte pas seulement les beignetariats à Yaoundé. Le secteur vestimentaire n’est pas en reste.
“Le business est désormais compliqué, la clientèle est déjà limitée à cause de ce phénomène. Les prix proposés par les clients sont actuellement très bas, ils sont inférieurs au prix d’achat des articles”, nous révèle Loïc Ebode.
De son côté, Loïc Ebode est dans la vente de vêtements et de chaussures. Il est étudiant en cycle master en droit à l’université de Yaoundé 2 (SOA). Àgé de 26 ans, il réside à Djonassi à Olembé.
L’équation des prix à la clientèle est juste la partie cachée de l’iceberg. Une fois qu’un accord est trouvé avec le client, d’autres difficultés font leur entrée.
“Depuis le début de ce business, les principales difficultés rencontrées sont les suivantes : Les livraisons tardives (Nocturnes) et surtout très risquées dans des secteurs ou quartiers moins connus, le manque de sérieux de certains clients dans les échanges, la perte de certains articles, l’acceptation de prix anormalement bas par des clients se plaignant et exigeants”, exprime-t-il.
Tout comme Loïc Ebode, Sarra Belomo, âgée de 19 ans, est étudiante en 2e année en journalisme à l’ISSAM (Institut Supérieur des Arts et Métiers). Elle réside dans le quartier d’Obili à Yaoundé et se spécialise dans la vente en ligne de vêtements pour dames.
“En cette période d’inflation, mon entreprise éprouve des difficultés, ce qui a un impact sur mon activité. La vente de vêtements en ligne est une activité que je mène à temps partiel, ce qui représente un soulagement pour moi”, révèle-t-elle.
Le numérique est devenu un atout incontournable dans tous les secteurs. Grâce au digital, la vente de vêtements sort de l’ordinaire (L’exploitation d’une boutique physique) pour s’effectuer de manière plus pratique. Cependant, la vente de vêtements en ligne n’est pas exempte de difficultés, notamment au niveau de la logistique de livraison.
“Cela fait plus de quatre mois que j’ai commencé cette activité et je rencontre d’énormes difficultés au niveau de la fixation des prix avec les clientes : Vous établissez un prix et une cliente arrive en demandant une remise, ce qui entraîne une perte de bénéfice. Ensuite, nous avons des clientes qui passent une commande et au moment de la livraison, le numéro de téléphone ne répond plus, soit on vous fait attendre sous la pluie et le soleil, ce qui est vraiment difficile”, ajoute-t-elle.
La gestion de la clientèle, des bénéfices et de l’approvisionnement constitue un défi complexe.
Gérer un beignetariat demande beaucoup de sacrifices et de sang-froid. Il faut être capable à la fois de rester calme face à certains clients, d’accepter de partager l’espace avec d’autres personnes, tout en préservant ses bénéfices. C’est le cas d’Augustine Tounou qui utilise un espace jusqu’à midi avant de le céder à une autre dame.
“À la fin de la journée, vous vous retrouvez avec 10 beignets donnés en cadeau, ce qui représente une perte de bénéfice de 250 FCFA. En général, nous avons entre 1000 et 3000 FCFA de bénéfice par jour”, déclare-t-elle.
Une fois qu’un certain bénéfice est enregistré, les calculs sur l’approvisionnement des produits pour la journée suivante, ainsi que la gestion de sa famille, entrent en jeu.
“Les enfants doivent aller à l’école avec de quoi manger, ce qui représente un minimum de 1000 FCFA par jour. Fixer les prix des repas est un autre dilemme, nous sommes obligés de vendre le riz en fonction de la demande du client et les morceaux de viande de 100 FCFA à 300 FCFA. Sans compter que vous êtes autour du feu de 6h à 12h du lundi au dimanche parfois. Aujourd’hui, le litre d’huile est à 1800 FCFA, tout est cher, c’est pourquoi nous allons arrêter cette activité et explorer d’autres options”, conclut Augustine Tounou.
La question de la clientèle, du bénéfice et de l’approvisionnement concerne toutes les activités du secteur informel. Présent sur le marché Messassi, positionné sous un parasol volant, prêt à échapper au contrôle journalier, Cédric est un Congolais qui pose des ongles.
“Je fais des poses d’ongles, je nettoie les ongles, je fais des soins du visage, du maquillage, je pose des greffes et je mets du vernis. Le capital par jour varie de 2 000 à 20 000 FCFA, tout dépend de l’affluence des clients. Certains jours, vous avez 2 000 FCFA de capital, certains jours 3 000, 10 000, certains jours vous n’avez rien”, explique-t-il.
Fuir le contrôle policier pour pouvoir obtenir un gain au coucher du soleil n’est pas le seul problème auquel est confronté Cédric. Le secteur des soins de beauté est très prisé par la gent féminine, ce qui demande une certaine souplesse pour attirer la clientèle.
“Nous rencontrons des difficultés, déjà en tant qu’homme, j’ai appris ce domaine en formation, mais le marché est compliqué, les gens se plaignent du coût de la vie, nous essayons de proposer des services à des prix qui tiennent compte du contexte socio-économique du pays et des prix des produits que nous utilisons dans nos soins du corps au quotidien, mais certaines clientes exagèrent”, déplore le Congolais Cédric, poseur d’ongles au marché Messassi à Yaoundé 1.
Pour maintenir sa clientèle et enregistrer un certain bénéfice, Loïc Ebode procède par contrat pour l’approvisionnement.
“L’approvisionnement se construit, c’est-à-dire que le vendeur et le client s’entendent sur tout (Le lieu, le jour et l’heure de livraison). Une fois cela fait pour chaque client, tout devient facile, il suffit juste que tout soit respecté, tant par le client que par le vendeur. De telle sorte qu’en cas de non-respect du contrat par un client, on passe à la livraison suivante et ainsi de suite pour s’assurer de la satisfaction de tous les autres clients, car on ne saurait pénaliser les autres à cause d’un seul client moins sérieux”, ajoute-t-il.
“Malgré cette période, la clientèle est assez conséquente. Il faut reconnaître plus ou moins l’obtention d’un quelconque bénéfice dans ce business”, poursuit Loïc Ebode.
La politesse, le sourire et l’accueil sont des atouts pour réussir dans diverses activités du secteur informel, telles que les soins de beauté, la vente de vêtements, la restauration, le secrétariat ou encore les bars.
“Il faut être poli, parfois savoir récupérer un client qui passe en le flattant ou en lui donnant un compliment. Il faut aussi avoir beaucoup de patience et être calme, car certains clients sont grossiers, méprisants et insupportables. Face à cela, il faut garder le sourire, sinon vous risquez de perdre un client”, confie Cédric, poseur d’ongles.
Une fois que la politesse, le sourire et un bon accueil sont vos compagnons, il est judicieux de vous adapter à votre environnement, d’accepter les difficultés et de trouver comment les surmonter.
“Il y a des jours où l’on ne parvient pas à se procurer de quoi manger pendant toute la journée, parfois en raison des difficultés liées à l’emplacement. Par exemple, là où je me trouve actuellement, une boutique de motos est voisine, ainsi qu’un stand de PMUC, un glacier, des gérants de beignetariats, des bars et des vendeurs ambulants. Je suis contraint de faire preuve de courage sur ce marché. Malgré la difficulté croissante, nous explorons d’autres horizons pour envisager un changement de domaine si nécessaire”, détaille Cédric.
Le monde numérique est aujourd’hui assailli par diverses formes d’arnaques. Avec un groupe WhatsApp comptant plus de 100 membres, Sarra a réussi à constituer une clientèle importante, qu’elle a dû convaincre grâce au bouche-à-oreille et à la garantie de la qualité, ce qui lui rapporte un certain bénéfice.
“Le principal objectif dans tout secteur est de réaliser un bénéfice. Ainsi, après chaque vente, j’enregistre un certain gain en fonction des livraisons et des achats effectués par les clients, même si cela ne répond pas toujours à nos attentes. En ce qui concerne l’approvisionnement, c’est relativement simple pour moi, car je collabore étroitement avec deux boutiques physiques, l’une située à Bastos et l’autre à Mokolo. Actuellement, via mon groupe WhatsApp, j’essaie de poster au moins tous les deux jours des articles avec des prix attractifs. Ce sont des articles tendance, et chaque client y trouve son compte”, révèle Sarra Belomo.
Gérer un secrétariat bureautique à proximité d’un établissement académique demande beaucoup de courage et de compétences. La clientèle, composée principalement d’étudiants, diminue pendant les congés et les grandes vacances. Blondelle gère un tel établissement dans le quartier Fouda à Yaoundé et est mère d’une fille.
“Cette situation affecte notre entreprise en raison de l’augmentation des prix du matériel informatique. Malgré cela, la clientèle reste importante. Pour faire face à la concurrence, nous proposons des réductions de prix afin de satisfaire notre clientèle, principalement constituée d’étudiants. Nous cherchons simplement à nous entendre avec nos fournisseurs sur les prix du matériel pour essayer d’augmenter notre bénéfice”, explique-t-elle.
Des solutions potentielles pour soutenir le secteur informel.
“Durant cette période d’inflation, je pense que la diminution du coût de la vie dans notre pays pourrait faciliter les choses dans mon secteur, car les clients sont exigeants et se plaignent constamment du coût de la vie. Je comprends leurs préoccupations car la situation économique nous contraint à cette réalité, où les dépenses doivent être soigneusement calculées à l’avance, d’autant plus qu’il existe des alternatives telles que la friperie qui propose des articles à des prix plus abordables”, conseille Sarra Belomo, tout en lançant un appel au gouvernement.
“À mon avis, ce qui pourrait aider les entreprises à être plus rentables durant cette période d’inflation, c’est d’abord de fidéliser les clients existants, puis d’attirer de nouveaux clients d’une manière ou d’une autre. De plus, il est essentiel de proposer des articles qui sont accessibles à tous les clients”, suggère Loïc Ebode à ses collègues et à toutes les personnes envisageant de se lancer dans la vente de vêtements.
L’impact de l’inflation sur le panier de la ménagère.
Depuis le début de cette période d’inflation au Cameroun, les habitudes alimentaires des familles et leurs dépenses ont été perturbées. Les difficultés persistent sur le marché, tant en ce qui concerne l’accueil que la qualité des produits.
“Il y a une augmentation des prix, et nous ne pouvons plus tout nous permettre. Les repas sont considérablement réduits, car la quantité a été diminuée en raison de l’augmentation des prix. À Noël, nous avons eu un repas ordinaire, comme un jour habituel, et nous ne sommes pas satisfaits de la qualité ni de la quantité, ce qui détourne les populations de leurs habitudes alimentaires”, explique Frida Mebenga, étudiante en droit à SOA.
Outre la qualité et la quantité des produits, les prix élevés et l’accueil des commerçants découragent les ménages.
“Les difficultés rencontrées sur le marché sont multiples : La cherté des produits, la mauvaise qualité de ces derniers et l’humeur frustrée des vendeurs. À la maison, nous sommes contraints d’utiliser un gaz de moindre qualité pour la cuisson, de partager le même plat pour économiser, et même de réduire les quantités pour les repas quotidiens. Durant la période de Noël, nous n’avons pas perçu de différence notable ; c’était un jour ordinaire avec un repas habituel”, relate Marie Nkoula, étudiante en deuxième année de droit, âgée de 23 ans, résidant à Ekié.
“Personnellement, je ne suis pas satisfaite, car la plupart des produits sur le marché sont périmés et excessivement chers, étant donné que la majorité des Camerounais sont au chômage. Les commerçants sont tous sur les nerfs, comme des chiens enragés, et cherchent à se venger sur les clients”, ajoute-t-elle.
La part de responsabilité des magasiniers.
“À mon avis, l’inflation est causée par les magasiniers qui retiennent les produits dans les magasins, faisant croire à une pénurie pour ensuite vendre ces produits à des prix plus élevés. Les seules victimes sont les clients”, déplore Marie Nkoula.
Âgée de 19 ans, Ange Mbella est également une étudiante en droit à l’université de SOA, en deuxième année. Elle réside avec sa famille (Parents et frères) dans le quartier Nkolondom à Yaoundé 1er, où elle est l’aînée. Son opinion diffère de celle des autres sur la qualité de l’accueil au marché.
“L’inflation n’a jamais eu d’impact sur les festivités de fin d’année. Comme d’habitude, nous avons eu du poulet, du porc et du poisson sur la table. Je suis satisfait de la qualité mais pas de la quantité. Les commerçants nous accueillent toujours avec gentillesse, surtout lorsqu’ils augmentent leurs prix. Ils accueillent les clients avec de larges sourires pour les flatter”, explique-t-elle.
Pour Ange, il y a quelques années, 5000 FCFA étaient largement suffisants pour cuisiner un repas beaucoup plus abondant. Elle évoque ensuite les causes de cette inflation.
“Plusieurs facteurs contribuent à cette hausse des prix dans notre pays : L’endettement de l’État, surtout les dettes internes, et le taux élevé d’exportation de nos produits, notamment vers la Russie et l’Ukraine. Cela ne permet pas de satisfaire la demande locale à moindre coût”, déclare-t-elle.
L’inflation des prix du carburant, le nouveau dilemme des Camerounais.
Suite à une réunion ministérielle le 02 février 2024, les prix des produits pétroliers ont été revus à la hausse. Le gasoil est passé à 828 FCFA tandis que le super est passé à 840 FCFA dès le 03 février 2024. Le pétrole lampant est resté à 350 FCFA le litre et le gaz domestique à 6500 FCFA.
La population camerounaise a été confrontée à une pénurie de carburant en décembre 2023, une situation qui a été vécue de manière particulière par les Camerounais. Labibi est une élève en classe de 3e au collège Adventiste de Yaoundé.
“On dirait que les chauffeurs de taxi et les mototaximans attendaient cette opportunité. Déjà, pendant la pénurie, nous avons vécu un calvaire sur le chemin de l’école. Nous avons été contraints de payer 500 FCFA pour Bata Nlongkack, et 1000 FCFA pour les trajets plus longs. Il arrivait parfois que, lors du départ du taxi de Messassi en votre compagnie, les autres passagers applaudissaient.”, indique-t-elle.
L’augmentation des prix des produits pétroliers, un nouvel élément perturbateur.
“Désormais, avec la hausse des prix du carburant, c’est une toute autre histoire. Pour prendre une moto jusqu’à Nkolondom, il faut déjà payer 300 FCFA en journée et 500 FCFA la nuit, et pour aller jusqu’à Messassi, cela coûte déjà 200 FCFA. Les chauffeurs de taxi parlent déjà de tarifs normaux de 350 FCFA en journée et 400 FCFA la nuit. Lorsqu’on essaie de discuter avec eux, ils répondent : “Ma fille, c’est toi qui apportes cet argent ? Les salaires ont été augmentés, ne nous manque pas de respect”. Je me demande si ces chauffeurs pensent que tous les parents travaillent dans la fonction publique, et où va notre cher pays”, s’indigne Labibi.
La réplique émanant des autorités administratives compétentes.
Le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, a adressé une note de rappel aux présidents des syndicats des transports urbains, périurbains et interurbains le 05 février 2024. Dans cette note, il leur demande de renoncer à toute augmentation sauvage des prix des transports, sous peine des sanctions prévues par la loi en vigueur.
De surcroît, une concertation tenue ce 15 février 2024 entre le ministre du Commerce et les intervenants du secteur du transport a conduit à l’établissement des nouveaux barèmes tarifaires pour les services de taxi, fixés à 300 FCFA durant la journée et 350 FCFA durant la nuit. En revanche, les tarifs demeurent inchangés à 250 FCFA pendant la journée et 300 FCFA durant la nuit pour les personnes à mobilité réduite, les étudiants ainsi que les élèves.
Le constat n’est certes pas encore alarmant, car la jeunesse, fer de lance de la nation, peut contribuer au développement du Cameroun par l’agriculture, l’entrepreneuriat et une meilleure implication dans la vie socio-économique.